Trajectoire déroutée, le dernier livre de Sanda Voïca, je l'ai depuis le mois de juin, presqu'à portée de la main, avec l'intention d'écrire une note. Je le prends, le repose, le reprends. J'ai beau faire. Les mots ne me viennent pas. Il y a des souffrances d'autrui qui vous laissent sans voix. Que pourrions-nous ajouter ? Ses mots à elle, Sanda Voïca, suffisent. Ils sont là. Ils disent la descente aux enfers après la mort de sa fille, à l'âge de vingt-deux ans. La déroute. La chute. Se sauver par les mots – jusqu'au mot final, salvateur : me voilà –, en disant au plus juste ce qu'elle éprouve, dans sa chair, dans sa tête, dans sa vie. Il y a cette authenticité qui ne trompe pas. Et aussi terrifiant que cela puisse paraître le lecteur que je suis ne peut s'empêcher de ressentir, malgré le malheur, la beauté simple et vraie qui se dégage de ce livre.
Extraits :
plusieurs fois par jour
la fille revient
s'empare de moi
grappin à plusieurs crochets qui
s'enfoncent dans ma chair
me soulèvent très haut
et me lâchent :
je me défais en morceaux.
Quand je me réarticule
je mets la fille disparue
dans mon échine.
La première chose dont on veut s'emparer au réveil
est l'être le plus profond
que la main veut secouer et réveiller aussi.
Alors on prend le crayon
et on laboure toute la journée
dans un cahier.
L'œil
n'est jamais qu'œil,
mais un outil nouveau
à chaque fois qu'il trace
un signe.
Au plus près de mon ventre noir.
Sans tête.
Bien qu'invisible à moi-même.
Je tâtonne.
Le noir
collant
m'emporte
toute pétrie
par son foisonnement.
Je fais le tour de moi-même,
je me vois de dos.
La trajectoire devient
ligne côtière d'une baie étroite.
La ligne monte
jusqu'aux parois abruptes.
Je suis l'eau claire et froide
d'une baie bleu royal.
Dans la nasse du jour
je jette une nouvelle nasse
et j'y retrouve
les nasses des autres jours.
Dans chacune il y a
encore des nasses –
celles des jours anciens.
À la pêche,
je n'attrape que des nasses.
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Alain Roussel
Sanda Voïca/Trajectoire déroutée/éditions Lanskine (80 pages, 14€)
j'ai profondément aimé ce livre. Il va jusqu'à l'os de l'âme, il va vers la renaissance aussi, pour survivre , si c'est encore possible. Il est trop tôt pour se reconstruire, trop tôt pour laisser un nouveau regard traverser cette trajectoire fauchée, tellement humain
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