On peut réserver son voyage et s'installer tranquillement dans le train de l'écriture en sachant où l'on va et à quelle heure on arrive, avec pour seul risque un retard en mots. Jean-Pascal Dubost n'est pas de ceux-là. Ce qu'il aime, c'est la forêt inextricable de la langue, là où l'on peut encore se perdre ou trébucher sur une racine, dans tous les sens du mot "racine", où l'on peut se déchirer la pensée à quelques ronces, voire se la mettre en lambeaux. Son dernier livre, "fantasqueries", publié aux éditions isabelle sauvage, nous entraîne dans ce qu'il appelle lui-même "un petit désastre jubilatoire" où prévaut l'oral, avec tous les écarts qu'il permet, sur l'écrit. Sa poésie est celle d'un loup dans la bergerie du langage.
Il est à cet égard significatif qu'il évoque, dans l'un des premiers textes qui composent ce "livre-assemblage", Bleiz, à la fois sous sa forme primitive d'homme-loup ou d'homme des bois, et sous la forme christianisée (Blaise) telle qu'on la connaît dans un récit de Robert de Boron rattaché à la quête du Graal où il apparaît comme le confident et le scribe de Merlin "l'Enchanteur" dont il met par écrit les révélations. Car en s'identifiant symboliquement à Bleiz, Jean-Pascal Dubost devient le narrateur de cette parole sauvage – de ce Merlin –, que chacun porte en lui et qui ne nous appartient pas, qui nous traverse en meute, furtivement et à vive allure.
Il compte sur le rien, le "personne", pour porter toutes "les fictions du monde", comme Pessoa en portait tous les rêves. Tout alors devient possible dans la langue et l'auteur ne s'en prive pas. Qu'il nous livre son autobiographie, qu'il critique sur un mode dérisoire les informations dont nous accablent les médias, qu'il aille faire ses courses, qu'il évoque dans ce qu'il appelle un "entretissage" le livre de Valère Novarina, "Le Vrai Sang", il y a toujours ce fil narratoire – du poil de loup gris – qui passe d'un texte à l'autre et qui les coud à l'hirsute.
La langue, Dubost la recompose comme il l'entend, dans un plaisir sonore. Il découpe les mots à l'emporte-pièce, les rafistole, les maltraite, les invente, joue sur les étymologies très librement, appelle certains mots du vieux français à la rescousse quitte à les déformer parfois, mais sans jamais perdre de vue le Sens, ce qui le différencie des tentatives de poésie phonétique de Hausmann ou Schwitters. Voici un extrait de "fantasqueries" :
"Xyloglottissme et cataglottisme sont à mon goût dans la bouche, sans aucune peur des mots à ra-rallonges et à coucher dehors, nonpareils et biscornus, imbitables et loufs et zarbis et à mastiquer, comme l'imprononçable mot dont il n'existe aucune affirmation officielle quant à la véracité de lui qui a phobie, la peur, mais aussi hippopoto, gros, monstro, gigantesque et sesquippedalio, les longs mots, alors signifiant "Peur des mots trop longs", n'aucune attestation, auquel toute entrée en dictionnaire est refusée, par ainsi l'hapax que voici-là, dans lequel s'agglutinent un hippopotame et un monstre sans doute terrifique mesurant un pied et demi, et peur aucune n'ai de l'inconnu lexical, peur aucune en temps de pantophobie généralisée et contagieuse et carabinée dont il faut n'avoir cure et qu'elle n'aille entamer le goût de tout logo – en des entraînements logolatiques coulés en formes logaédiques et tout goût pour tout mot qui sort de l'ordinaire comme l'hippopotomonstrosesquippedaliophobie..."
Alain Roussel
"Fantasqueries" (98 pages, 17€) a été publié par les éditions isabelle sauvage.
Il est à cet égard significatif qu'il évoque, dans l'un des premiers textes qui composent ce "livre-assemblage", Bleiz, à la fois sous sa forme primitive d'homme-loup ou d'homme des bois, et sous la forme christianisée (Blaise) telle qu'on la connaît dans un récit de Robert de Boron rattaché à la quête du Graal où il apparaît comme le confident et le scribe de Merlin "l'Enchanteur" dont il met par écrit les révélations. Car en s'identifiant symboliquement à Bleiz, Jean-Pascal Dubost devient le narrateur de cette parole sauvage – de ce Merlin –, que chacun porte en lui et qui ne nous appartient pas, qui nous traverse en meute, furtivement et à vive allure.
Il compte sur le rien, le "personne", pour porter toutes "les fictions du monde", comme Pessoa en portait tous les rêves. Tout alors devient possible dans la langue et l'auteur ne s'en prive pas. Qu'il nous livre son autobiographie, qu'il critique sur un mode dérisoire les informations dont nous accablent les médias, qu'il aille faire ses courses, qu'il évoque dans ce qu'il appelle un "entretissage" le livre de Valère Novarina, "Le Vrai Sang", il y a toujours ce fil narratoire – du poil de loup gris – qui passe d'un texte à l'autre et qui les coud à l'hirsute.
La langue, Dubost la recompose comme il l'entend, dans un plaisir sonore. Il découpe les mots à l'emporte-pièce, les rafistole, les maltraite, les invente, joue sur les étymologies très librement, appelle certains mots du vieux français à la rescousse quitte à les déformer parfois, mais sans jamais perdre de vue le Sens, ce qui le différencie des tentatives de poésie phonétique de Hausmann ou Schwitters. Voici un extrait de "fantasqueries" :
"Xyloglottissme et cataglottisme sont à mon goût dans la bouche, sans aucune peur des mots à ra-rallonges et à coucher dehors, nonpareils et biscornus, imbitables et loufs et zarbis et à mastiquer, comme l'imprononçable mot dont il n'existe aucune affirmation officielle quant à la véracité de lui qui a phobie, la peur, mais aussi hippopoto, gros, monstro, gigantesque et sesquippedalio, les longs mots, alors signifiant "Peur des mots trop longs", n'aucune attestation, auquel toute entrée en dictionnaire est refusée, par ainsi l'hapax que voici-là, dans lequel s'agglutinent un hippopotame et un monstre sans doute terrifique mesurant un pied et demi, et peur aucune n'ai de l'inconnu lexical, peur aucune en temps de pantophobie généralisée et contagieuse et carabinée dont il faut n'avoir cure et qu'elle n'aille entamer le goût de tout logo – en des entraînements logolatiques coulés en formes logaédiques et tout goût pour tout mot qui sort de l'ordinaire comme l'hippopotomonstrosesquippedaliophobie..."
Alain Roussel
"Fantasqueries" (98 pages, 17€) a été publié par les éditions isabelle sauvage.