jeudi 20 septembre 2018

"Cours, Mounia, sauve-toi"




Dessin de couverture au fusain et crayon gras
de Mariano Otero
 Chercheur scientifique, spécialiste de l’imagerie numérique médicale, Jean-Louis Coatrieux est aussi un poète et un écrivain qui a publié de nombreux livres. Ce qui étonne c’est la grande diversité de ses approches. Il peut aussi bien évoquer la Chine, où il se rend régulièrement, que la figure d’Alejo Carpentier dans un bel essai qu’il lui a consacré chez « Apogée », ou faire appel à ces grandes voix que sont pour lui Grall, Guillevic, Guilloux, Perros, Robin, Segalen, dans un livre, « À les entendre parler », qu’il a publié à « La Part Commune », éditeur qui propose à son catalogue une bonne dizaine de ses titres.
Celui qui nous intéresse plus particulièrement aujourd'hui, Cours, Mounia, sauve-toi, est un petit livre de 70 pages que l’on peut qualifier d’inclassable. Si le thème, les migrants, est d’actualité, il n’est pas ici traité de façon journalistique. L’auteur a choisi une autre voie, celle du récit écrit à la première personne du singulier et dont le narrateur, ou plutôt la narratrice, est une petite fille de dix ans, Mounia, qui fuit un pays dévasté par la guerre, dans lequel il n’est pas difficile de reconnaître la Syrie. Mais ce pourrait être dans d’autres circonstances, en d’autres endroits, et curieusement le livre nous amène à nous interroger sur une question de vocabulaire, un mot et son sens : « migrant ». Cette petite fille en fuite et pourchassée, forcée de quitter le pays de son enfance, laissant derrière elle des morts qui lui sont chers, la mère, le frère, ne sait pas où elle va, ne sait même pas si elle pourra s’arrêter un jour, s’il y aura une fin à son errance. C’est donc cela un « migrant » ? Un émigré, un immigré, l’on voit très bien ce que c’est. Il y a des lieux où l’on vit, des points d’ancrage dans l'exil. Mais un migrant, une migrante ? Il n’y a pas de port d’attache, seulement ce voyage qui n’en finit pas, peut-être pour rien, avec pour tout bagage une « valise à lanières » et quelques souvenirs.
C’est du moins ce que l’on ressent à la lecture du livre de Coatrieux, et l’on se sent ému, on est avec Mounia sur des chemins sans fin, à souffrir avec elle, à espérer et à désespérer. On s’identifie à elle, allant jusqu'à nous souvenir de la terre natale, avec ses oliviers, ses montagnes de l’Ouest, son puits, et tous ces visages aimés que nous n’avons pourtant jamais connus. Car il y a cette magie empathique dans le texte. Cela tient à ce parti-pris : avoir écrit le récit en vers très courts qui se succèdent par petits groupes, et non en prose, et dans une grande simplicité de langue : des mots de petite fille, justement. Du coup, il y a comme un halètement dans cette errance qui nous entraîne, nous lecteurs, et nous nous surprenons à regarder un monde pourtant fracassé dans la pureté du regard d’une petite fille et… celle de l’écriture de Coatrieux.
Enfin, il y a l’amitié autour de ce livre. La couverture est de Mariano Otero, peintre et fils d’un réfugié espagnol qui a dû fuir la répression franquiste. Albert Bensoussan, écrivain et traducteur des grands écrivains latino-américains dont Vargas Llosa, en a écrit superbement la préface, et la postface, non moins intéressante, est de René Peron, écrivain et sociologue.

Voici un extrait de "Cours, Mounia, sauve-toi" :

Mon père
Son bras sur mes épaules
Je ferme les yeux
Nous sommes seuls
Il sait que j’ai peur

Ne m’attend pas
Marche
Je te suivrai
Sauve-toi, ma fille,
Sauve-toi

J’entends les rires
Des soldats
Dans mon dos
Leurs couteaux
Achevaient les blessés

La peur me reprend
Toujours
Me saisit les mains
Le corps entier
Ne les lâche plus

Vers où allons-nous,
Qui nous tendra ses bras ?
Comment traverser
Les corps rendus
À eux-mêmes ?

Les derniers arbres
Debout
Un pays commence là
Derrière ces barbelés
Où je n’aurai aucun droit




                                                     Par Alain Roussel

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Jean-Louis Coatrieux : "Cours, Mounia, sauve-toi" (75 pages, 12€) :
Éditions Riveneuve