jeudi 10 janvier 2019

Journal de lecture : Jacques Josse









C'est à son grand-père réinventé – il ne l'a pas connu – que s'adresse Jacques Josse dans cette Lettre ouverte au grand-père capitaine, publiée aux éditions le Réalgar. Il avait déjà évoqué son ancêtre dans plusieurs livres, et surtout dans Débarqué (éditions La Contre Allée), mais dans ce fascicule le grand-père devient le personnage central. Comme souvent, Josse a besoin d'ancrages, de temps et de lieu. Aussi reconstitue-t-il comme il le peut, mais d'une écriture précise, la vie de son ancêtre, avec des bouts de mémoire recueillis ici ou là. Comme son grand-père, capitaine au long cours, il est singulier qu'il tienne ainsi une sorte de journal de bord, une façon de lui rendre hommage et d'être complice. Chez Jacques Josse, qui a l'art de ressusciter les vies anonymes, les morts ne meurent jamais. Ils vivent dans la mémoire des vivants. Son grand-père capitaine continue de voyager dans sa pensée et se rappelle à lui à l'improviste, au cours d'une lecture, Segalen, Cendrars et même Michaux, ou un lieu, tels le hameau où il a vécu ou un port d'Europe. En voici les premières lignes :


Tu as beau avoir largué les amarres, et mis le cap sur le grand large, deux ans avant ma naissance, cela ne m'a pas empêché de t'évoquer en faisant comme si je t'avais réellement connu. Je peux même reconstituer en détails tes dernières heures. Ton agonie t'a survécu. Cela se passait dans ta maison, située près de la chapelle de Liscorno, le dimanche 18 mars 1951. La chambre bleue te rappelait les fonds marins. Le temps était à la pluie, et la fenêtre entrouverte. Une ampoule nue se balançait au plafond. Tu soufflais comme un damné, en proie à une sévère crise d'asthme, tout en déclarant à ta femme Francine et à ton fils Édouard, mon père, tous deux de plus en plus inquiets au vu de ton état qui empirait, qu'il était hors de question qu'un médecin mette les pieds dans cette pièce. Tu ajoutais que tu n'en avais jamais eu besoin et que tu n'allais pas commencer, à près de soixante-quinze ans, une carrière de malade en ingurgitant des remèdes aux noms barbares alors qu'une bonne cigarette toutes les heures, deux ou trois verres de vin pendant les repas, plus l'apéritif dominical, ta vie entière était là pour le prouver, suffisaient pour te maintenir en forme. Tu sifflais court, toussais creux, éructais et crachais en respirant de plus en plus mal...


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                                                         Alain Roussel

Jacques Josse/Lettre ouverte au grand-père capitaine/éditions le Réalgar (25 p., 4,50€)



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