L’écrivain
américain Howard McCord est surtout connu en France pour L’homme qui
marchait sur la Lune et En marchant vers l’extrême. Sa poésie l’est
moins, et c’est donc à une véritable découverte que nous invitent les Éditions
de La Part Commune avec Poèmes chamaniques, dans une présentation et une
traduction de Cécile A. Holdban – qui a par ailleurs illustré le livre – et de Thierry
Gillybœuf. Toute tentative pour situer cette poésie s’avère rapidement infructueuse.
On ne peut l’inscrire dans un courant tel que la Beat Generation ou l’Objectivisme
initié par William Carlos Williams et Louis Zukofsky, ni l’apparenter à Hart
Crane, qu’il admire pourtant. Si l’on peut rattacher les romans de McCord au « Nature
writing », ses poèmes semblent toutefois échapper à toute localisation
littéraire : ils sont insituables, comme d’ailleurs l’est l’écrivain
lui-même.
Celui
qui se présente lui-même comme « fournisseur en charmes et malédictions
efficaces » est né à El Paso, au Texas, près de la frontière mexicaine, « au
milieu du désert de Chihuahua, au milieu de kilomètres et de kilomètres de
désert dans toutes les directions, et de chaînes de montagnes surgissant comme
des archipels », dit-il dans une interview. Cette nature sauvage qui
l’émerveille, qu’il considère comme sacrée, a forgé son tempérament, et s’il
devait revendiquer une identité, ce serait plutôt celle d’un Indien – « l’Apache
est mon maître » –, mais sans tribu, loin de la frénésie urbaine, avide
des grands espaces d’Amérique ou d’ailleurs qu’il parcourt en marchant, avec la
conscience d’être unique, que tout homme est unique, « le dernier de notre
genre ».
Les
Poèmes chamaniques rassemblent à l’évidence des poèmes écrits sur une
longue période – d’où la diversité des thèmes –, au fil de l’inspiration du
moment sans jamais la forcer et en divers lieux, souvent montagneux et
désertiques comme ceux de son adolescence. De ce fait, on pourrait croire qu’il
va évoquer les grands espaces, qui sont en effet bien présents en filigrane, mais
son regard se porte plus volontiers vers les particularités du territoire qu’il
arpente en marcheur aguerri, accrochant ainsi l’immensité et sa vacuité à des
éléments immédiats et proches, tels une pierre, un arbre, une araignée, un
serpent ou le vol d’un oiseau. Ils n’en sont pas moins énigmatiques, et Howard
McCord sait que « La totalité des mystères est retenue/comme la musique
dans l’écorce blanche du pin. » Il y a une langue cachée dans les choses,
et il faut apprendre à la connaître, non par le sens mais par la sensation,
aligner le langage sur des perceptions en retrouvant une innocence première née
d’un contact direct avec la nature sauvage – son côté chamane : le cœur
avant l’intelligence. La poésie consiste essentiellement, pour McCord, à accueillir
en toute simplicité les êtres et les choses dans les mots, à s’effacer pour leur
laisser la parole :
Un
poème est une ronce,
un
appel d’air,
un
cri dans la nuit
poussé
par l’humble gorge
d’une
taupe
capturée
par une chouette
silencieuse
en plein vol.
Sa
longue expérience des déserts, si propices aux mirages, l’amène dans certains
poèmes à émettre un doute, avec l’humour qui s’impose, sur la réalité de la
réalité. Et si le monde n’existait pas ? Chicago, les sauterelles, tout ça
n’existe pas. Seuls quelques arbres existent, « mais ils sont si
profondément/cachés dans les bois/qu’il est peu probable/qu’on en découvre
un/de nos jours. », écrit-il dans le poème « Ontologie ». « Un
rêve non rêvé », dit-il, telle pourrait être la nature véritable de
l’univers, un rêve qui n’est pas un rêve et une réalité qui n’est pas la
réalité, et un chaos plutôt qu’un cosmos :
Il
n’y a pas d’ordre.
Ni
dans les roseaux
ni
dans le silex
ni
dans la maison du soleil
ni
dans le lapin
ni
dans les bénédictions des bonnes manières.
Je
vous dis qu’il n’y a que
les mythes de l’enfance.
la
géométrie
rien
de plus.
Des Poèmes
chamaniques, il émane un art de vivre et même une certaine forme de sagesse
qu’on a presque envie de qualifier de taoïste – il aurait pu être à sa manière
un compagnon de Li Po. Cet amoureux de la solitude, que « la Muse a rendu
fou depuis longtemps » et qui possède parmi d’autres armes un sens affûté
de l’ironie et de la satire, aime les plaisirs simples : un feu de bois
mort, un repas sommaire, la prière du vent, le silence, danser autour d’un
chêne, contempler des étoiles à travers le sapin, identifier une fleur si c’est
la saison… Howard McCord est comme ce « moineau qui ne construit pas de
nid/mais allume des feux/de brindilles, de paille et de ficelle ».
Alain
ROUSSEL