dimanche 6 janvier 2019

Journal de lecture : Prieto, Girard, Starck, Chambon


C'est comme ça. On accumule les livres reçus. On en choisit quelques-uns dans la pile pour écrire des notes. On en a repéré d'autres, et on se dit : j'en parlerai plus tard. Puis le temps passe et les livres sont toujours là, dans la pile, à attendre. Quelques mots pourtant suffisent, surtout pour les poèmes qui n'ont guère besoin  de longs commentaires. En citer un est ce qui convient le mieux : au lecteur de se faire directement une idée. C'est ainsi que m'est venue l'envie d'écrire un journal de lecture que je publierai régulièrement : écrire court mais essayer d'écrire juste, du moins d'écrire ce qu'on ressent. Ces quatre plaquettes que je présente ici sont à tirage très limité.



Jean-Raphaël Prieto écrit peu. La logorrhée littéraire qui affecte nombre de nos contemporains n'est pas pour lui. De temps en temps il publie une plaquette. La dernière s'intitule Chemin courant, branche morte, dans "la collection de l'umbo", avec un somptueux frontispice de Jean-Pierre Paraggio qui vient par ailleurs apposer sa griffe légendaire au fil des poèmes. Pas de concession au réel, si peu enviable. Nous sommes là dans l'image, avec cette liberté insolente qui vient du surréalisme et sa part d'énigme absolue.





Extrait :
Il n'y a pas à envier
les marées de fiel de l'honneur
ni les beaux yeux de la séduction.
Derrière la lame
aux reflets de jambes
la pierre
aux reflets de seins
l'herbe
aux reflets de croupes déferlantes
la cime des arbres
aux reflets de clin d'œil :
les branches tiennent à la fois lieu de refuge
et de poste de guet





Ce sont également des plaquettes que nous livre régulièrement, ou nous délivre, Guy Girard. Ne cherchez pas ces livrets en librairie, vous avez peu de chance de les trouver. À part peut-être Les coulisses du plomb aux éditions Le Grand Tamanoir (2015) et À l'Ouest de l'Enclume (Association "Le livre à dire", 2018), il publie lui-même ses plaquettes hors commerce et les diffusent gratuitement auprès de quelques amis. Cela me le rend d'autant plus précieux que j'y vois un remède salutaire en ces temps de vanité littéraire. D'un voyage en Asie de l'Est, il ramène des poèmes qu'il a écrits à l'encre merveilleuse, d'une écriture en filaments de brume. Voyez plutôt, cet extrait du "Le poème de Longzhou :

Au fil de l'eau se sont soulevées ces montagnes
au souffle des chenilles inventant leur envol
de papillons sur les tablettes nuageuses
des huit immortels
le village chavirait presque
quand l'oiseleur de murailles
annonça l'arrivée du Golem
nous avons pris ensemble le repas d'ombres
dans le cercle des signes
plus agiles que toute mémoire
Nous avons dansé sur l'échiquier des bambous
et un homme est monté dans un arbre
accrocher un ruban rouge à l'isthme de la lumière









Dans Déluge (Les Météores Éditions, 2018), Julien Starck appose

ses Sceaux d'écriture sur la page, tandis que Jean-Pierre Paraggio vient dialoguer avec lui par l'image avec ses Énigmats. C'est comme un rituel magique pour tenter d'exorciser le monde et s'ouvrir par l'imaginaire à la Vision :

Le Vent
Le Vide
Les Étendues qu'il Claque
Veillent l'Homme
Comme une Tente
Lumineuse


                    Le Vol
                    Soustrait
                    La Vue
                    À l'Aile
                    Qui frôle
                     L'Air


Avec une Lenteur folle
Dans l'air
Muet
Une nappe de silence
Vole
Dans le Paysage





Lire Jean-Pierre Chambon est toujours un enchantement. Le légendaire qu'inventent Le Roi errant (Gallimard) ou Zélia (Al Manar) ouvre un chemin dans l'espace et le temps qui invite le lecteur au voyage à travers l'imaginaire. L'homme a encore la capacité de rêver et l'auteur ne s'en prive pas. Dans Noir de mouches (L'auberge des vents, avec des dessins de Philippe Chambon), il doit livrer un combat sans merci contre un terrible ennemi : les mouches. Il faut dire que les circonstances qui les font apparaître, puis pulluler, sont inquiétantes. En effet, des cadavres humains dont elles se repaissent jonchent la rue, de toute évidence en état de siège. Il n'est donc pas étonnant, dans ces conditions, qu'après avoir essayé d'en capturer une, Chambon choisit, après s'être installé à la fenêtre brisée, une solution plus radicale : le fusil!







Extrait :

J'ai ôté le cran de sûreté, enclenché le chargeur. La nuée noire s'épaississait encore, dessinant des volutes où vibrionnaient des grumeaux de cendre. J'ai pressé la détente et tiré une première rafale. Le recul de l'arme m'a fait mal à l'épaule. Les corps à terre hoquetaient sous les impacts, pantins sautillant à la cadence saccadée d'une danse macabre. Tandis que les mouches, toutes ensemble, avaient pris leur envol et se dirigeaient maintenant vers moi en une longue colonne verticale. Le crépitement de l'arme ne couvrait pas leur bourdonnement. La trame de leurs sifflements lancinants m'emplissaient le crâne. Les écailles de leurs ailes miroitaient. Les doigts crispés sur la gâchette, les bras secoués de soubresauts, je continuais à tirer. Je visais la face des démons, dont m'horrifiaient les yeux à facettes et les longs poils fourchus hérissant leurs corps. De toutes mes forces tétanisées, je tentais de repousser leur multitude infâme.

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                                                           Alain Roussel


                                                         
















1 commentaire:

  1. J'ai commencé un journal de lecture sur mon blog, 4 petits livres où l'imaginaire est roi. Réel insipide s'abstenir. Si vous avez envie.

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