Certains poètes sont venus à la poésie par une expérience ineffable qui les a marqués d'une manière indélébile, dans leur chair et leur pensée. C'est le cas de Jacques Goorma qui raconte dans son beau livre, "Le Vol du loriot", publié par les éditions Arfuyen, comment dans son enfance, en regardant le ciel et se demandant ce qu'il y avait derrière, il fut soudain aspiré par un "gigantesque tourbillon" dans l'espace infini, l'impression de tomber à l'envers. Ce qu'il vécut en cet instant relève de l'indicible. Il lui faudra apprendre à amadouer l'espace, à voler selon certains rites, à la façon du loriot, ou plutôt en une sorte de brasse ailée, dans ce "dehors du dedans" qui ne connaît pas de limites, mais l'expérience est si intime qu'elle en est presque incommunicable par les mots. Seul le silence, un silence d'une certaine nature, un silence vivant, presque charnel, permet de s'en approcher et si cet état trouve quelque part un écho c'est peut-être dans la musique et la poésie.
Il y a dans le secret de notre présence au monde un lieu innommable où parle le silence. C'est ce silence-là que Jacques Goorma invoque dans l'un de ses derniers livres, "Tentatives", publié par les éditions "Les Lieux-Dits". Comment en effet dire le silence avec des mots ? Cela paraît presque impossible, mais Goorma relève le défi. Si le silence est le jumeau invisible du mot, comme il l'écrit, le mot, par ses interstices, en est la face visible, à condition de dire au plus juste, écrire comme en même temps l'on efface. Chez ce poète, les mots sont à peine posés sur la page et il suffirait d'un peu de vent pour qu'ils s'envolent dans une sorte de lumière.
Il y aurait une indécence à se perdre en exégèse, alors qu'il suffit de lire quelques-unes des "tentatives" de Jacques Goorma pour essayer de dire ce silence en nous qui n'appartient à personne, cette "immensité que nous sommes" :
Tentative XXXI
de frêles passerelles tanguent
au-dessus du silence
les mots sont souples
sous les pas de la langue
une lueur avance
en même temps qu'une voix
Tentative XXXII
le secret
du silence
n'est pas
l'absence de parole
mais
sa lumière
Tentative LI
je sais
que je suis
mais j'ignore
comment je le sais
et comment dire
ce que je suis
Tentative LII
demander aux mots
de décrire le silence
c'est demander aux nuages
de parler du ciel
...
Il y aurait une indécence à se perdre en exégèse, alors qu'il suffit de lire quelques-unes des "tentatives" de Jacques Goorma pour essayer de dire ce silence en nous qui n'appartient à personne, cette "immensité que nous sommes" :
Tentative XXXI
de frêles passerelles tanguent
au-dessus du silence
les mots sont souples
sous les pas de la langue
une lueur avance
en même temps qu'une voix
Tentative XXXII
le secret
du silence
n'est pas
l'absence de parole
mais
sa lumière
Tentative LI
je sais
que je suis
mais j'ignore
comment je le sais
et comment dire
ce que je suis
Tentative LII
demander aux mots
de décrire le silence
c'est demander aux nuages
de parler du ciel
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On connaît la célèbre "Illumination" de Rimbaud, "Dévotion" dont le manuscrit n'a jamais été retrouvé mais qui est l'un des poèmes les plus énigmatiques de la poésie française. Il commence par une série de dédicaces dont la première est : "À ma sœur Louise Vanaen de Voringhem : – Sa cornette bleue tournée à la mer du Nord. – Pour les naufragés."
C'est à un exercice semblable que se livre Jacques Goorma dans " À" qui vient de paraître aux éditions "Arfuyen". D'un lieu insituable en lui-même, il guette, observe. Il interroge le monde et toutes ces sensations, toutes ces impressions, toutes ces notions qui accompagnent une vie. Goorma est un poète de la présence, et même de la présence derrière la présence. Ses hommages et dédicaces se répondent et font voyager l'énigme d'être là, avec sa part irréductible de silence et d'impossible à dire. Mais chez Goorma cette obscurité peut devenir lumineuse, révélatrice, portée par la simplicité de l'écriture et prête à prendre son envol. De façon très pudique et souvent avec humour, se faisant tour à tour métaphysicien ou moraliste, il nous parle de lui, en grand amoureux de la vie sous toutes ses formes. Il y a comme un art d'exister dans son livre, une sorte d'invitation à s'éblouir chaque matin. En voici quelques extraits :
Au matin
quand la nuit peu à peu
déboutonne sa robe
le corps du jour frissonne
À la belle
son corps vêtu de cascades
ressuscite une jungle
au milieu du trottoir
À l'entrée
voici une chaise en bois
vois-tu la chaise
ou vois-tu le bois ?
Au rendez-vous manqué
certains mots
se trompent de jour
Au mot ballon
le silence qu'il contient
le rend insubmersible
Au vivant saphir
écrire
se tenir
à la pointe extrême
à la crête du vivre
À l'effacement
l'oiseau emporte le ciel
avec lui
À la poésie
attention
danger de vie
À l'aventurier
où qu'il aille
c 'est toujours sous le ciel
de son chapeau
C'est à un exercice semblable que se livre Jacques Goorma dans " À" qui vient de paraître aux éditions "Arfuyen". D'un lieu insituable en lui-même, il guette, observe. Il interroge le monde et toutes ces sensations, toutes ces impressions, toutes ces notions qui accompagnent une vie. Goorma est un poète de la présence, et même de la présence derrière la présence. Ses hommages et dédicaces se répondent et font voyager l'énigme d'être là, avec sa part irréductible de silence et d'impossible à dire. Mais chez Goorma cette obscurité peut devenir lumineuse, révélatrice, portée par la simplicité de l'écriture et prête à prendre son envol. De façon très pudique et souvent avec humour, se faisant tour à tour métaphysicien ou moraliste, il nous parle de lui, en grand amoureux de la vie sous toutes ses formes. Il y a comme un art d'exister dans son livre, une sorte d'invitation à s'éblouir chaque matin. En voici quelques extraits :
Au matin
quand la nuit peu à peu
déboutonne sa robe
le corps du jour frissonne
À la belle
son corps vêtu de cascades
ressuscite une jungle
au milieu du trottoir
À l'entrée
voici une chaise en bois
vois-tu la chaise
ou vois-tu le bois ?
Au rendez-vous manqué
certains mots
se trompent de jour
Au mot ballon
le silence qu'il contient
le rend insubmersible
Au vivant saphir
écrire
se tenir
à la pointe extrême
à la crête du vivre
À l'effacement
l'oiseau emporte le ciel
avec lui
À la poésie
attention
danger de vie
À l'aventurier
où qu'il aille
c 'est toujours sous le ciel
de son chapeau
...
"Tentatives" a été publié par les éditions lieux-Dits (15€, 110 pages)
"À" a été publié par les éditions Arfuyen (14€, 134 pages)
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