Dessin de couverture au fusain et crayon gras de Mariano Otero |
Chercheur scientifique, spécialiste de l’imagerie numérique médicale, Jean-Louis
Coatrieux est aussi un poète et un écrivain qui a publié de nombreux livres. Ce
qui étonne c’est la grande diversité de ses approches. Il peut aussi bien
évoquer la Chine, où il se rend régulièrement, que la figure d’Alejo Carpentier
dans un bel essai qu’il lui a consacré chez « Apogée », ou faire
appel à ces grandes voix que sont pour lui Grall, Guillevic, Guilloux, Perros,
Robin, Segalen, dans un livre, « À les entendre parler », qu’il a
publié à « La Part Commune », éditeur qui propose à son catalogue une
bonne dizaine de ses titres.
Celui
qui nous intéresse plus particulièrement aujourd'hui, Cours, Mounia, sauve-toi, est un petit livre de 70 pages que l’on
peut qualifier d’inclassable. Si le thème, les migrants, est d’actualité, il n’est
pas ici traité de façon journalistique. L’auteur a choisi une autre voie, celle
du récit écrit à la première personne du singulier et dont le narrateur, ou
plutôt la narratrice, est une petite fille de dix ans, Mounia, qui fuit un pays dévasté par la guerre, dans lequel il n’est pas difficile de reconnaître la Syrie.
Mais ce pourrait être dans d’autres circonstances, en d’autres endroits, et
curieusement le livre nous amène à nous interroger sur une question de
vocabulaire, un mot et son sens : « migrant ». Cette petite
fille en fuite et pourchassée, forcée de quitter le pays de son enfance,
laissant derrière elle des morts qui lui sont chers, la mère, le frère, ne sait
pas où elle va, ne sait même pas si elle pourra s’arrêter un jour, s’il y aura
une fin à son errance. C’est donc cela un « migrant » ? Un
émigré, un immigré, l’on voit très bien ce que c’est. Il y a des lieux où l’on
vit, des points d’ancrage dans l'exil. Mais un migrant, une migrante ? Il n’y a pas de
port d’attache, seulement ce voyage qui n’en finit pas, peut-être pour rien,
avec pour tout bagage une « valise à lanières » et quelques
souvenirs.
C’est
du moins ce que l’on ressent à la lecture du livre de Coatrieux, et l’on se
sent ému, on est avec Mounia sur des chemins sans fin, à souffrir avec elle, à
espérer et à désespérer. On s’identifie à elle, allant jusqu'à nous souvenir de
la terre natale, avec ses oliviers, ses montagnes de l’Ouest, son puits, et
tous ces visages aimés que nous n’avons pourtant jamais connus. Car il y a
cette magie empathique dans le texte. Cela tient à ce parti-pris : avoir
écrit le récit en vers très courts qui se succèdent par petits groupes, et non
en prose, et dans une grande simplicité de langue : des mots de petite
fille, justement. Du coup, il y a comme un halètement dans cette errance qui
nous entraîne, nous lecteurs, et nous nous surprenons à regarder un monde
pourtant fracassé dans la pureté du regard d’une petite fille et… celle de l’écriture
de Coatrieux.
Enfin,
il y a l’amitié autour de ce livre. La couverture est de Mariano Otero, peintre et fils d’un
réfugié espagnol qui a dû fuir la répression franquiste. Albert Bensoussan, écrivain et traducteur des grands écrivains latino-américains dont Vargas Llosa, en a
écrit superbement la préface, et la postface, non moins intéressante, est de
René Peron, écrivain et sociologue.
Voici
un extrait de "Cours, Mounia, sauve-toi" :
Mon père
Son bras sur mes épaules
Je ferme les yeux
Nous sommes seuls
Il sait que j’ai peur
Ne m’attend pas
Marche
Je te suivrai
Sauve-toi, ma fille,
Sauve-toi
J’entends les rires
Des soldats
Dans mon dos
Leurs couteaux
Achevaient les blessés
La peur me reprend
Toujours
Me saisit les mains
Le corps entier
Ne les lâche plus
Vers où allons-nous,
Qui nous tendra ses bras ?
Comment traverser
Les corps rendus
À eux-mêmes ?
Les derniers arbres
Debout
Un pays commence là
Derrière ces barbelés
Où je n’aurai aucun droit
Par Alain Roussel
........................
Jean-Louis Coatrieux : "Cours, Mounia, sauve-toi" (75 pages, 12€) :
Éditions Riveneuve
Par Alain Roussel
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Jean-Louis Coatrieux : "Cours, Mounia, sauve-toi" (75 pages, 12€) :
Éditions Riveneuve