Et si l'on parlait d'amour ? Une certaine poésie d'aujourd'hui a déserté ces territoires de braise. Peur de s'y brûler ? Il y va d'un certain climat de la passion qui exige une grande liberté de langage: ne pas avoir peur des mots, se mettre à nu et oser. C'est ce que tente Claude-Lucien Cauët dans son livre : La Fiancée vespérale. Comme son titre l'indique, cette fiancée vient sur le soir pour embraser les crépuscules et faire table rase du passé. Il y a dans son long poème une alchimie intime entre deux êtres, corps et pensée : "la fusion à brasier de nos solitudes", écrit-il. Ces deux-là sont unis par un pacte. Leur amour est une magie pour conjurer "l'effroi" du réel et reculer les limites, toutes les limites. L'amoureux a tous les pouvoirs et règne par l'imagination. Le monde n'a qu'à bien se tenir. Par l'exaltation de sa langue – "un bouquet de vocabulaire jaillit du contact de nos peaux" –, Cauët érotise l'univers entier qu'il relie au corps de la femme aimée. Et c'est comme une danse, celle d'Éros et de Thanatos, au milieu des désastres d'un millénaire déjà agonisant, à peine commencé. La vie réinventée par l'amour, c'est ainsi que je ressens ce livre.
Claude-Lucien Cauët l'a publié par ses propres moyens, le vouant ainsi à une circulation très, trop secrète. Un éditeur ?
EXTRAITS :
à la ridelle de nos vents j'accroche des
flammes sculptées à même la chair
nous serons marqués au front d'une étoile si
lointaine que son acmé ne pourra atteindre
nos pénates d'argile
la valse hoquette tandis que l'œil tourne au
piquet
et nous basculons longuement dans un océan
de plumes où les voluptés s'éternisent
À la minute alanguie sur le marbre de la
chaussée
au souffle qui irise le lac
nos mains de gentiane s'enveloppent d'un
parfum de bois et de mousse
marche nuptiale à la mode parsemée de rires
dans nos mandibules déhanchées
les canards se moquent
les musiciens s'accordent
nous cherchons l'égarement des contes
enfantins
...
je te montre les chaînes brisées du voleur de
feu
la pierre à fusil déjà en fleurs
le renard scalpé par les ongles de l'hydre
le diamant serti dans l'ombre d'une châtaigne
il suffit que je te prenne par la main pour que
s'éveillent les génies de la taïga qui
exaucent tous les vœux...
...
la syncope congrue balaye le défilé
je t'emmène à la dérive des océans
là où la roche grimpe aux rideaux des nues
je veux te montrer sur la falaise en débris les
restes du festin des rois
et si tu flanches aux passages scabreux je
saurai te tirer à la sourde faille
viens ma recluse d'antan pour une nouvelle
année
viens te coller à mon rocher de nerfs par ta
coquille tendre
incruste ta chair en marquant la mienne aux fers
je t'attends dans mon sampan au coin du
suroît déjà
viens te dissoudre et m'inonder de feu
...
Né sur la cinquième corde de l'alphabet j'ai
ruiné les sauts de l'ange
naguère ma brassée était vide et mon cœur en
attente de poignard
d'un baiser d'encre tu m'as tiré du grabat
j'ai les yeux frottés de ta gouaille
le monde que nous habitons est à l'aplomb
haut
créé par la déchirure de la passion
nous y brûlons nos vies franches de terreur
j'ai déterré pour toi les vases de parfum
laissés par la pluie dans sa fuite au cordeau
une odeur de palissandre te revêt de sa cape
et te vante à tue-tête
d'autant que dessous tu ne portes que la
cadence de ma main
...
je t'aime à l'aventure qui se raconte dans les
ports
à l'incendie des palmes pour les sueurs d'avril
au gréement des épaves reprises par la marée
je t'aime à l'aune des meurtres au sang jailli
dans les bouges parce que très en verve
aux escaliers de terre farcis de pierres
philosophales
je t'aime à l'émeute qui renverse les statues
au torrent furieux noyant des troupeaux de
buffles
à la digue cédant au mascaret pétri de lune
je t'aime à la lave du volcan qui éjacule au ciel
son sperme de cristal
par un ébranlement des villes toutes en
lumières
à l'éclipse qui amuït la faune des savanes
je t'aime au feu de tes prunelles en ravage de
printemps
...................................................................................
Alain Roussel
Claude-Lucien Cauët : La Fiancée vespérale (aPa, 80 pages)
Claude-Lucien Cauët l'a publié par ses propres moyens, le vouant ainsi à une circulation très, trop secrète. Un éditeur ?
Frontispice d'Alice Massénat |
EXTRAITS :
à la ridelle de nos vents j'accroche des
flammes sculptées à même la chair
nous serons marqués au front d'une étoile si
lointaine que son acmé ne pourra atteindre
nos pénates d'argile
la valse hoquette tandis que l'œil tourne au
piquet
et nous basculons longuement dans un océan
de plumes où les voluptés s'éternisent
À la minute alanguie sur le marbre de la
chaussée
au souffle qui irise le lac
nos mains de gentiane s'enveloppent d'un
parfum de bois et de mousse
marche nuptiale à la mode parsemée de rires
dans nos mandibules déhanchées
les canards se moquent
les musiciens s'accordent
nous cherchons l'égarement des contes
enfantins
...
je te montre les chaînes brisées du voleur de
feu
la pierre à fusil déjà en fleurs
le renard scalpé par les ongles de l'hydre
le diamant serti dans l'ombre d'une châtaigne
il suffit que je te prenne par la main pour que
s'éveillent les génies de la taïga qui
exaucent tous les vœux...
...
la syncope congrue balaye le défilé
je t'emmène à la dérive des océans
là où la roche grimpe aux rideaux des nues
je veux te montrer sur la falaise en débris les
restes du festin des rois
et si tu flanches aux passages scabreux je
saurai te tirer à la sourde faille
viens ma recluse d'antan pour une nouvelle
année
viens te coller à mon rocher de nerfs par ta
coquille tendre
incruste ta chair en marquant la mienne aux fers
je t'attends dans mon sampan au coin du
suroît déjà
viens te dissoudre et m'inonder de feu
...
Né sur la cinquième corde de l'alphabet j'ai
ruiné les sauts de l'ange
naguère ma brassée était vide et mon cœur en
attente de poignard
d'un baiser d'encre tu m'as tiré du grabat
j'ai les yeux frottés de ta gouaille
le monde que nous habitons est à l'aplomb
haut
créé par la déchirure de la passion
nous y brûlons nos vies franches de terreur
j'ai déterré pour toi les vases de parfum
laissés par la pluie dans sa fuite au cordeau
une odeur de palissandre te revêt de sa cape
et te vante à tue-tête
d'autant que dessous tu ne portes que la
cadence de ma main
...
je t'aime à l'aventure qui se raconte dans les
ports
à l'incendie des palmes pour les sueurs d'avril
au gréement des épaves reprises par la marée
je t'aime à l'aune des meurtres au sang jailli
dans les bouges parce que très en verve
aux escaliers de terre farcis de pierres
philosophales
je t'aime à l'émeute qui renverse les statues
au torrent furieux noyant des troupeaux de
buffles
à la digue cédant au mascaret pétri de lune
je t'aime à la lave du volcan qui éjacule au ciel
son sperme de cristal
par un ébranlement des villes toutes en
lumières
à l'éclipse qui amuït la faune des savanes
je t'aime au feu de tes prunelles en ravage de
printemps
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Alain Roussel
Claude-Lucien Cauët : La Fiancée vespérale (aPa, 80 pages)
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