mardi 16 mai 2017

La poésie vient en marchant

Le livre que vient de publier Sandrine Cnudde, "Patience des fauves" aux éditions érès, n'est pareil à aucun autre. Il est parsemé de poèmes, de prose et de nombreuses photos formant pourtant un ensemble qui n'est pas disparate : un fil les relie, c'est celui de la marche et du sentier sur lequel elle s'exerce. En effet, toute la vie de Sandrine Cnudde, qui fut paysagiste et jardinière, est rythmée depuis 2006 par une déambulation dans les territoires, que ce soit les Pays-Bas, le tour du Mont Blanc ou l'Écosse. Ici, dans son dernier livre, c'est la Lozère autour de Marvejols qui est ainsi parcourue, le plus souvent à pied, au gré des saisons. À chaque instant de sa longue randonnée, elle est à l'affût, tous les sens aux aguets pour saisir ces petits détails de la nature qui construisent l'émotion, s'abandonnant totalement au paysage et se laissant transformer par lui. Il y a un moment dans la marche où elle se confond avec le paysage, la pensée comme suspendue, et le corps envahi par un mélange d'ivresse et de fatigue. 
L'expérimentation menée par Sandrine Cnudde dans ce "territoire des loups", ainsi qu'elle désigne la Lozère, ne concède rien à la littérature ; elle est le reflet du vécu, un "essai de géopoésie subjective", selon ses propres mots. Mais laissons-lui la parole : "En partant de chez moi à pied pour rejoindre ma résidence d'écriture, près de 200 kms à l'ouest, il me semble avoir accompli non pas un acte courageux (quel serait le courage de faire ce que l'on aime en totale liberté ?) mais d'avoir participé à une écriture du territoire, où mon chien et moi avons évolué dans des paysages bien connus, déjà explorés par le passé, dont le temps pour les traverser nous imprègne en profondeur, moi-même écrite par le territoire dans une reconnaissance infusée... Tout ce que j'ai vécu, vu, entendu, senti fait partie de moi comme je fais maintenant partie de la voie qui relie Uzès à Marjevols, pas juste de la ligne de cheminement mais également de ce qui rayonne d'elle..."

Du paysage qu'elle va traverser, Cnudde s'invente une cartographie, sans doute pour amadouer les lieux malgré la quête du "sauvage" qui la préoccupe. Mais curieusement c'est une cartographie blanche qui ne dessine que des contours, une cartographie intérieure en quelque sorte dont le récit vient au fur et à mesure constituer la toponymie et le relief.
Et pour finir, extrait du livre, ce poème qui ressemble à un haïku :

Un os caché
flûteau des tanières
joue.
Nous pouvons nous reposer."

                                                            Alain Roussel

"Patience des fauves", de Sandrine Cnudde, a été publié par les éditions érès, dans la collection PO&PSY, dirigé par Danièle Faugeras et Pascale Janot. 160 pages, prix 20€

https://www.editions-eres.com/theme/788/po-psy





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